Ce que nous coûte le coronavirus

Les libertés civiles sont parmi les droits de l’homme les plus anciens et les plus reconnus. Leur expression contemporaine en tant que revendications juridiques fondées sur des droits civils et politiques est plus récente, datant de la période tumultueuse de la Seconde Guerre mondiale.
Aujourd’hui, nous sommes confrontés à un type d’urgence très différent. Et c’est étonnant de voir à quelle vitesse les valeurs pour lesquelles nous nous sommes battus ont été rapidement mises de côté.
Dans les pandémies, les violations des droits sont différentes. Il n’y a eu ni détentions ni arrestations massives. Aucun internement d’étrangers ennemis.
Les droits disparaissent
Les libertés civiles ne sont pas conçues uniquement pour les périodes de paix et de stabilité. Ils revêtent une importance particulière, voire critique, lors des urgences publiques. C’est précisément parce que bon nombre des freins et contrepoids que nous tenons pour acquis ont été écartés. De nouveaux ordres émergent quotidiennement et l’état de droit prend du temps à se rattraper.
La surveillance législative est souvent la première victime. Dans des pays comme le Canada, les lois adoptées démocratiquement confèrent le pouvoir d’émettre des ordonnances d’urgence sans examen législatif. Bien sûr, les citoyens peuvent voter contre des gouvernements qui dépassent les bornes, mais la démocratie ne devrait pas s’évaporer entre les élections. Au moment de la rédaction du présent rapport, l’Assemblée législative de chaque province du Canada a été ajournée, bien que quelques-unes visent provisoirement à rouvrir bientôt.
Il existe un risque de portée excessive lorsque nous convenons collectivement de permettre aux gouvernements de faire ce qui est nécessaire pour assurer notre sécurité. Selon un récent sondage d’Ipsos, les Canadiens soutiennent massivement des mesures gouvernementales plus strictes pour lutter contre le COVID-19, mais cela crée à son tour un risque réel que les tribunaux fassent preuve de plus de déférence envers les gouvernements en période de crise.
La province de Québec en particulier offre un exemple frappant de la rapidité avec laquelle tout peut s’effilocher.
La ministre de la Santé du Québec, Danielle McCann, répond aux journalistes lors d’une conférence de presse sur la pandémie de COVID-19 le 4 mai 2020 à l’Assemblée législative provinciale. LA PRESSE CANADIENNE / Jacques Boissinot
Depuis la déclaration du 13 mars d’une urgence de santé publique, le ministre de la Santé et des Services sociaux de la province a statué par décret en vertu de la Loi sur la santé publique du Québec. Mon analyse des huit décrets et 28 décrets ministériels montre que les deux tiers de ces décrets limitent les libertés civiles.
Pourtant, le public soutient de telles mesures: les politiciens jouissent d’une popularité accrue à travers le pays. Ce soutien peut s’expliquer par le fait que nous ne prenons conscience que progressivement de l’impact de COVID-19, en particulier sur les personnes vulnérables ou incapables de s’exprimer.
Signalisation pour les urgences publiques
La distanciation sociale est essentielle, comme l’a démontré une étude récente dans The Lancet. Mais la validité des interdictions de réunion doit être prescrite par la loi. » Des rapports du Québec et de l’Ontario indiquent que la police pourrait dépasser ses limites.
Des agents de l’Unité montée de la police de Toronto patrouillent dans un parc de la ville de Toronto le 16 avril 2020. Des rapports font surface que la police outrepasse ses limites en imposant des efforts de distanciation sociale. LA PRESSE CANADIENNE / Frank Gunn
Le décret du 20 mars au Québec, par exemple, oblige les gens à rester à deux mètres l’un de l’autre. La police a néanmoins infligé des amendes aux personnes qui ont maintenu ces distances sociales, parfois sans avertissement préalable. Aucun des deux scénarios n’est prescrit par la loi. Pourtant, un porte-parole de la police montréalaise a déclaré publiquement que les gens ne sont pas autorisés à se rassembler »même s’ils gardent leurs distances.
Il n’est pas étonnant que l’Association canadienne des libertés civiles ait lancé une campagne nationale pour surveiller qui a été détenu et condamné à une amende, et pourquoi.
«Limites raisonnables»
Les tribunaux ont également déclaré que des limites raisonnables »aux droits doivent être des réponses proportionnées, avec des liens rationnels entre les mesures prises et le problème qu’elles visent à résoudre.
Au Québec, la vie, la liberté et la sécurité des aînés se sont en fait détériorées. Obturer les personnes âgées dans les résidences, leur interdire de quitter les lieux et leur interdire l’accès aux proches aidants et aux proches a eu des conséquences dévastatrices, quoique involontaires
Le fils d’une femme décédée de COVID-19 dans la résidence pour personnes âgées du gouvernement du Québec à Ste-Dorothée a déposé un recours collectif, alléguant que les résidents étaient mal isolés et que des employés infectés devaient travailler. Une poursuite similaire a été lancée en Ontario
Un travailleur de première ligne ajuste son équipement de protection en passant devant un autre travailleur déchargeant des filtres à air et nettoyant du matériel à la maison de soins Orchard Villa à Pickering, en Ontario. le 27 avril 2020. LA PRESSE CANADIENNE / Frank Gunn
Les conventions collectives de la fonction publique ont été suspendues Les employés affirment qu’ils sont obligés de travailler dans des circonstances dangereuses, sans formation ni équipement de protection individuelle adéquat. Ce sont des limites majeures à la liberté d’association.
Nous devons nous préoccuper davantage, et non moins, des libertés civiles et de tous les droits de l’homme lors des situations d’urgence. Les gouvernements canadiens s’efforcent de nous garder en sécurité, mais l’histoire a montré que dans un affrontement avec une urgence publique, les droits sortent rarement intacts à moins que nous ne nous rappelions pourquoi nous en avions besoin en premier lieu.