Les usages de la dette publique

L’endettement public peut être utile. La dette sert à relier les différents moments de la vie économique et sociale de manière inter-temporelle, notamment pour les investissements lourds. La dette d’un État n’est pas seulement un poids, c’est aussi, lorsqu’elle sert à investir judicieusement, un acte de foi dans l’avenir. L’État a un horizon infini car son existence n’a pas de limite dans le temps. Il peut intégrer dans ses choix des externalités et des critères non pris en compte par les calculs économiques classiques. L’État, en outre, assure la solidarité intergénérationnelle par le couple emprunt-impôt. La dette publique sert, conjointement avec les prélèvements obligatoires, à financer des services publics (défense, sécurité, enseignement…), la protection sociale, les investissements d’infrastructures et plus généralement elle contribue à l’application des politiques économiques, sociales et environnementales. Ainsi, elle peut servir à lisser les chocs économiques éventuels de façon à enregistrer la croissance la plus harmonieuse possible. Cela sous-entend évidemment que les périodes fastes devraient permettre d’alléger le poids de la dette antérieure et non de dépenser davantage, l’État devant avoir le souci de maintenir la confiance des citoyens et des créanciers dans la qualité de sa gestion En théorie, l’État et les collectivités territoriales peuvent lever des ressources de manière plus importante que les agents privés. « L’endettement lié à du vrai investissement est normal, légitime et nécessaire », selon Gilles Carrez, sous réserve que l’investissement soit porteur d’une création de richesse supplémentaire pour répondre aux besoins sociaux et économiques. Un investissement, financé par la dette, qui permet de développer des infrastructures ou des conditions utiles à l’activité économique, génèrera un retour sur investissement, permettant à la fois de meilleures performances économiques et un surcroît de recettes fiscales, générateur d’une atténuation potentielle de la dette. C’était l’objectif du Grand emprunt. De même, des enjeux de société méritent un choix délibéré en faveur d’un supplément d’endettement si d’autres possibilités de financement n’existent pas. Par contre, s’il s’agit purement de faire face à des dépenses courantes, ce qui est le cas pour l’essentiel des dépenses des administrations sociales, il peut s’avérer dangereux de s’endetter car aucune amélioration future de la situation budgétaire, et donc de celle de la dette, n’en découlera. Encore faut-il être conscient que la distinction entre dépenses de fonctionnement et d’investissement n’est pas forcément évidente. Ainsi, l’enseignement est fréquemment envisagé comme une dépense courante alors que de sa qualité dépendront l’employabilité et la créativité des générations futures, source des richesses à venir. Cependant, il existe des systèmes éducatifs plus performants que d’autres et le montant des dépenses doit être analysé à cette aune. Le recours à la dette n’est-il pas légitime pour lutter contre un choc économique risquant de détruire des emplois et de handicaper durablement notre développement ? Inversement, il conviendrait de mettre en garde les collectivités territoriales contre des investissements non prioritaires dépassant leurs capacités financières ou non générateurs de richesse future. Cependant, la dette traduit aussi parfois l’incapacité des pouvoirs publics à faire prévaloir leurs choix politiques, à faire accepter à la population le niveau de prélèvements obligatoires en adéquation avec celui des protections sociales et la qualité des services publics qu’elle réclame. Cette incapacité peut conduire à faire appel aux marchés financiers qui acquièrent ainsi, de fait, un droit de regard sur les politiques publiques, ce qui n’est pas sans poser un problème de démocratie. Dans la crise actuelle, la situation particulière de l’euro, monnaie qui lie le destin d’États souverains aux caractéristiques souvent très différentes, a encore accentué les tensions sur les marchés.